Bibliothécaire : évolution ou extinction ?
Compte rendu de la matinée du 14 novembre 2013
Matinée professionnelle du 14.11.2013 au Salon Jean Jaurès de Levallois (92) avec Pierre CARBONE (inspecteur général des bibliothèques) et Jean-Pierre SAKOUN (consultant fondateur de Savoir Sphère)
Devant un peu plus de soixante-dix bibliothécaires des Hauts-de-Seine et un peu au-delà, M. Stéphane DECREPS, adjoint au maire de Levallois en charge de la culture nous a souhaité la bienvenue et a insisté sur l’importance des médiathèques dans les politiques publiques menées dans les territoires. Il a aussi souligné la nécessaire et déjà présente évolution des bibliothécaires et des médiathèques, l’une n’allant pas sans l’autre. A la question de l’extinction possible de cette « espèce professionnelle » menacée M. DECREPS a affirmé que l’avenir était aux bibliothécaires en tant qu’experts des publics et de l’information.
Pascal VISSET, président de BiB92 a expliqué ensuite les raisons d’un tel titre aux accents darwiniens : comme toute espèce plongée au cœur d’un milieu changeant, seule l’adaptation rend possible la survie et, par suite l’évolution. La question posée revient en ce sens à savoir vers quoi le métier de bibliothécaire évolue et comment favoriser cette transformation par certains aspects déjà en œuvre.
Pierre CARBONE a le premier présenté la synthèse opérée par l’Inspection générale des bibliothèques dans son rapport : Quels emplois dans les bibliothèques ? Etat des lieux et perspectives.
La présentation de Pierre CARBONE est accessible ici :
http://fr.slideshare.net/BiB92/2013-1114-emploisenbibliothequespc
Parmi les divers points abordés on peut noter :
- le risque de trop axer les compétences sur l’administration et le management et de négliger la partie scientifique et technique du métier de bibliothécaire (surtout pour cadres A et A+) ;
- l’écart entre grade et fonction est plus important en FPT qu’au sein de la FPE, plus rigoureuse quant au respect des cadres d’emploi / grades : aucun N qui ne soit conservateur en BU, les bibliothécaires n’apparaissant qu’en N-1 maximum – ce qui est loin d’être le cas en FPT, même pour des réseaux importants ;
- la surabondance de missions et de tâches dans les fiches de poste peut devenir un problème pour l’exercice professionnel ;
- on note dans la FPT que le développement territorial devient prédominant dans les priorités et supplante le développement culturel, autrefois prioritaire ;
- on observe une (nécessaire) évolution au sein de la FPT visant à recentrer le travail des bibliothécaires sur les fonctions sociales et collaboratives et moins sur l’hyperspécialisation et les transactions traditionnelles (prêts/retours etc.) ;
- l’apparition des nouveaux métiers et profils en bibliothèque doit être l’occasion d’élever les compétences de chacun des agents dans ces nouvelles spécialités et d’éviter le cloisonnement qui est le risque de cette coexistence de profils divers où chacun peut rester sur son domaine et ignorer les autres ;
- un des enjeux forts est de développer les compétences de médiation, de pédagogie et de disponibilité pour le public ;
- en termes de cadres d’emplois, les enjeux pour la FPE (rééquilibrer le taux trop élevé de conservateurs sous utilisés quant à leurs tâches réelles) sont l’inverse de ceux de la FPT (nommer plus de conservateurs sur des postes de direction stratégique où il y a encore souvent des bibliothécaires voire des cadres B) ;
- la formation et le recrutement sont des leviers à fort enjeu quant à l’évolution des métiers en bibliothèque ;
- le rapport de Bernard PÊCHEUR sur l’évolution de la fonction publique remis en début de mois au Premier Ministre indique une évolution intéressante qui consisterait à établir un cadre professionnel et référentiel commun entre les fonctions publiques pour faciliter les mobilités internes.
Jean-Pierre SAKOUN, consultant fondateur au sein de Savoir Sphère, a ensuite proposé une réflexion sur l’évolution du métier de bibliothécaire : Nouveaux publics, nouveaux espaces, nouvelles collections, nouveaux services… nouveaux bibliothécaires ?
La presentation de Jean-Pierre SAKOUN et accessible ici :
http://fr.slideshare.net/BiB92/2013-1114-evolutionmetierbibliothecairejps
Parmi les sujets proposés on peut noter :
- il faut dépasser le cliché du bibliothécaire ayant prise et pouvoir sur les documents, les espaces et les usagers pour se diriger vers un bibliothécaire décalé et suscitant l’envie d’échanger et d’apprendre ;
- dans cette optique il faut avoir conscience que ce qui arrive aux bibliothèques est aussi ce qui arrive à la société dans son ensemble : individualisation, refus de la relation asymétrique, aspirations contradictoires à satisfaire, passage du public à des publics ;
- la difficulté est en outre celle de la crise et des contraintes budgétaires qui contraignent à faire aussi bien avec moins quand ce pas n’est mieux avec moins. Dans ce cadre il est important de comprendre que faire aussi bien peut signifier faire différemment et/ou faire autre chose ;
- le numérique impose une révolution permanente qui n’est pas sans impact sur les budgets puisqu’elle imposerait un investissement innovant permanent. Pour convaincre les décideurs, les élus, il faut leur donner envie de procéder à ces investissement et à intégrer le retour en termes de satisfaction et d’adhésion des publics ;
- deux éléments sont importants : 1. le public doit être au cœur des stratégies, 2. ce qui prévaut aujourd’hui est susceptible d’être remis en cause demain ;
- le bibliothécaire de demain ne doit plus être un spécialiste du document ni un spécialiste des publics mais un expert de la mise en relation des publics et des documents ;
- dans cette optique, il importe que l’offre des bibliothèques conjoigne la cohérence interne et l’adaptation à la diversité des publics voire des individus ;
- les contraintes de raréfaction des moyens devront induire une suppression des emplois à faible valeur ajoutée (mutualisation, externalisation) ;
- l’automatisation et l’autonomisation des transactions publiques (RFID, automates) doivent à la fois faciliter la vie des usagers et accroître la disponibilité des agents auprès des publics ;
- la (r)évolution des bibliothèques consiste à la fois en une évolution radicale du métier et l’apparition de nouveaux métiers en bibliothèque ;
- le pilotage des bibliothèques doit aujourd’hui viser et favoriser la médiation (envers les publics), la coordination (avec les autres acteurs), la production (de contenus, de médiations etc.) et la valorisation (marketing, sollicitation des publics) ;
- les vitrines web que sont les sites des bibliothèques doivent dans ce cadre intégrer de réelles fonctions éditoriales pour refléter l’éditorialisation des contenus que doit aujourd’hui proposer la bibliothèque.
A la suite des ces deux intervention, quelques questions et réactions ont suscité des échanges et débats. Parmi ce qui a été avancé nous pouvons retenir :
- l’importance de la gratuité du métier et du service en bibliothèque : la relation de confiance procède en partie de ce que les bibliothèques n’ont pas d’autres intérêt que la pertinence documentaire à mettre en avant tel ou tel contenu : cette confiance doit être préservée et reposer sur l’expertise professionnelle des bibliothécaires dans ses domaines de compétences ;
- la formation des agents aux TIC est fondamentale et encore lacunaire. Les acteurs de terrain doivent en ce domaine s’efforcer de faire remonter les besoins pour faire évoluer l’offre ;
- problème de positionnement des professionnels face aux politiques et à leurs enjeux locaux : difficulté réelle mais d’un autre côté les politiques, légitimés par l’élection, sont ceux qui doivent soutenir et orienter les évolutions selon leur conscience politique - qui doit être parfois poussée dans ses retranchements ;
- la dématérialisation ne devrait pas remplacer le besoin de fréquenter des espaces de rencontre, de socialisation proposant en outre des accès à l’information, la culture… il importe à ce titre de ne pas manquer le positionnement adéquat des bibliothèques vis-à-vis des publics ;
- la satisfaction des usagers présents est importantes mais la grosse question est celle des +/-80% qui ne fréquentent pas les bibliothèques ;
- question posée de l’évaluation des évolutions qui parfois sont tellement rapidement mises en œuvre que la mesure de leur impact réel est négligée : il reste en effet à fabriquer nombre d’outils de mesure pour évaluer les services avec le plus de pertinence possible et éviter de se perdre dans une course à l'innovation sans visibilité ;
- la conclusion est que les bibliothécaires évolueront et ne disparaîtront pas – leurs missions seront en revanche largement renouvelées et leur « cœur de métier » sera l’objet d’une transformation radicale, à l’aune de ce que connaissent les sociétés les plus avancées.