Commission Petits éditeurs BiB92 – Sélection janvier 2020
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Au XIVème siècle en Russie, les grands-princes de Moscou doivent verser un tribu au Khan de la Horde d’or. Vassilissa est la plus jeune fille de Piotr Vladimirovitch, un boyard de Rus’ septentrionale. Sa mère est morte à sa naissance. Vassia grandit, bercée par les contes que lui raconte Dounia, sa nourrice. La petite fille est différente des autres enfants. Très indépendante, elle voit des choses que les autres ne voient pas. Piotr se remarie. Sa nouvelle épouse, Anna, est la fille du grand-prince de Moscou, la cousine de ses enfants. Anna est mécontente de son exil à la campagne. Très croyante, elle cache un lourd secret. Elle sera bientôt rejointe par Konstantin, un jeune et beau prêtre, très ambitieux. Avec Anna et Konstantin, la vie de Vassia va basculer. Une histoire magnifique qui plongera le lecteur dans les contes et légendes de Russie. Une histoire bien construite, une héroïne attachante. On découvre le folklore russe : le domovoï, esprit protecteur du foyer, le vazila qui veille sur les écuries, la roussalka, esprit des eaux, Morozko, l’énigmatique roi de l’hiver, incarnation de la Mort, fasciné par Vassia et son frère, l’Ours qui tente de se libérer. La magie des contes de fées s’insère très bien dans la narration. Une magie parfois sombre. Sur toile de fond de lutte entre christianisme et paganisme en déclin, on prendra beaucoup de plaisir à suivre les aventures de Vassia, courageuse jeune fille qui rêve de la liberté de ses frères, dans ce royaume qui fait peu de cas de la condition des femmes. A lire, bien au chaud, près du poêle, pendant que tombe la neige !
Arden, Katherine. - L’ours et le rossignol (vol. 1). - Denoël, Lunes d’encre. - Traduit de l’anglais. - 351p. - 22€
Suite de L’ours et le rossignol
La Horde d’or est en pleine déliquescence. Dans la campagne russe, des brigands attaquent les villages et enlèvent les petites filles. Vassia s’est enfuie de la maison de son père. Recueillie par Morozko, le roi de l’Hiver, elle décide de poursuivre sa route avec Soloveï, le cheval magique qu’il lui a offert. Elle veut découvrir le monde. Sur son chemin, la jeune fille délivre trois fillettes retenues prisonnières. Vassia et ses protégées se réfugient dans un monastère. C’est là qu’elle retrouve Sacha, son frère aîné, devenu moine-guerrier. Il est le conseiller de Dimitri Ivanovitch, grand-prince de Moscou et l’accompagne dans la lutte contre les brigands. Stupéfait de retrouver sa sœur, Sacha n’a d’autre choix que de la faire passer pour un garçon car le grand-prince de Moscou et les boyards ne doivent en aucun cas découvrir la véritable identité de Vassia. Sa conduite ferait scandale et sa vie serait menacée... Les éléments qui ont fait le succès du premier tome sont toujours là : magie, guerre, condition féminine et romance sous le blanc manteau de l’hiver. En se faisant passer pour un garçon, Vassia découvre la liberté, l’indépendance et le succès. Quand on sait qu’à l’époque, l’avenir des femmes de la noblesse russe était de se marier et de vivre à l’écart dans une tour, pendant que les hommes se partageaient le monde, on peut comprendre que l’héroïne tente de vivre sa vie. Avec l’ivresse de la jeunesse, Vassia prend des risques. La chute sera d’autant plus rude. Vivement le troisième tome !
Arden, Katherine. - La fille dans la tour (vol. 2). - Denoël, Lunes d’encre. - Traduit de l’anglais. - 402p. - 22€
Dès le départ, on sait que Sarah est morte à 42 ans et qu’elle revoit sa vie : elle raconte son histoire, nous montre ses côtés rebelles, ses doutes, l'amour fou, les projets, le bonheur, la naissance de ses enfants, et la maladie... Cette fille borderline dès l’enfance, surnommée Moineau, est sauvée par une psy et Théo, surnommé Lutin, plus jeune qu'elle, optimiste et fougueux, qui l’aide à abandonner ses peurs. Ils tombent amoureux et fondent une famille. Mais leur bonheur éclate quand Sarah est balayée par un cancer foudroyant, détecté alors qu'elle est enceinte de son second enfant. Ils doivent trouver la force de tenir, s’accrocher et ont la farouche volonté de faire face ensemble. Ils prennent le parti de tout prendre avec légèreté et autodérision de la part de Sarah ; ils surnomment le médecin « Dr House ». Le dernier acte d'amour de la jeune femme est de permettre à Théo de se libérer du deuil pour continuer à vivre. Beaucoup d'humanité se dégage des épreuves que le couple traverse, l'écoute, le respect total des sentiments de l'autre, de sa douleur, du chemin qu'il cherche pour s'en sortir. On est emportés dans le tourbillon des jours sombres où le couple se débat, espère, résiste, puis se rend. Véritable roman coup de poing, exceptionnel, intense, bouleversant, drôle, au langage direct. Avec une plume dynamique, moderne, joyeuse, remplie de sentiments justes, cette histoire d'une vie, d'une souffrance est une lecture vivifiante malgré un sujet « plombant ». L'auteur utilise une base autobiographique, ce qui amplifie le tour de force. Pour T. Bérard, il est peut être juste que les forts soient frappés, mais il est certain que les lecteurs seront frappés par ce roman extraordinairement puissant. Impossible de ne pas être touché par la force qui s’en dégage.
Bérard, Thibault. - Il est juste que les forts soient frappés. - L’Observatoire. - 296p. - 20€
Dans l’empire de Raverra, les enfants qui naissent avec la marque des mages sont enrôlés de force dans le régiment des Faucons du Doge. Leur magie est bloquée par un bracelet qu’ils portent au poignet : un jet magique. La personne qui leur a passé ce jet devient leur Fauconnier. Un Fauconnier pour un Faucon. Seul le Fauconnier peut libérer la magie de son Faucon. Fauconnier et Faucon doivent travailler ensemble et ils doivent aussi une obéissance totale à l’Empire.
Zaira porte la marque des mages. Sa magie est dangereuse. Elle a réussi à cacher sa marque, jusqu’au jour où sa route croise celle d’Amalia Cornaro, l’héritière d’une puissante famille de Raverra. La loi n’autorise pas une famille de l’Assemblée, à devenir Fauconnier. Pourtant les événements forcent Zaira à devenir Faucon et Amalia à être son Fauconnier. Elles ne se connaissent pas mais doivent collaborer, d’autant que la guerre est sur le point d’éclater. Un bon roman de fantasy. L’Empire raverrain est un mélange d’Empire romain et de Venise de la Renaissance, la magie en plus. L’histoire est racontée par Amalia Cornaro. C’est une timide jeune fille, plus passionnée par les études que par les manigances politiques de sa mère. Elle sait qu’elle devra régner un jour. Elle aimerait échapper à sa destinée, mais sa rencontre avec Zaira la contraint à faire des choix, à évoluer. Le décor est bien planté. Les personnages sont attachants et l’écriture limpide. Le scenario n’est, par contre, pas aussi simple qu’il n’y paraît au premier abord, pour la plus grande joie du lecteur. Celui-ci passera un bon moment en compagnie de deux héroïnes aux personnalités antagonistes. Ce sera un plaisir de lire la suite !
Caruso, Mélissa. - La sorcière captive (Les faucons de Raverra, vol.1). - Big Bang. - Traduit de l’américain. - 634p. - 18,50€
Ce premier roman nous embarque pour une longue digression mémorielle. La mémoire, c’est celle d’un adolescent resté dans l’abri bus de sa ville natale du 77, comme il a l’habitude de le faire depuis une bonne dose de matins avec son acolyte. Seulement cette fois, il est seul et c’est une première. Tout le temps du roman se déroule pendant cette journée, sur ce banc froid de l’abri bus, au rythme des joints consumés et des voitures qui passent. Le narrateur fait avancer le récit à la cadence de sa pensée, vers divers épisodes de son enfance, plus ou moins joyeux, plus ou moins violents, dressant ainsi le portrait d’une vie compliquée dans une ville de banlieue parisienne, coincée et oscillante, entre le bitume et la terre, les violences familiales et les humiliations, la misère sociale et l’espoir d’un lointain. Marin Fouqué dévoile une écriture extrêmement déroutante et parfaitement maitrisée. Il faut oublier les chapitres et l’on ne trouve quasiment pas de paragraphe, si ce n’est au passage d’une voiture devant l’abri bus. Le texte est scandé, rythmé à la manière d’un slam ; pressant ici et plus lent par-là, à l’image de la rêverie du personnage. Grâce à cette écriture, nous sommes réveillés en même temps que le narrateur, ramenés brusquement à sa réalité, avachis -dos rond, capuche à lisière d’œil- sur ce banc glacé, à la place du Grand Kevin et nous l’écoutons, un peu ahuri, nous conter son passé. Marin Fouqué est aussi rappeur et poète, et l’influence de ces deux disciplines est très forte dans son roman. Il offre un texte à la fois brut et cru, mais aussi très imagé, voire poétique et superbement bien réussi. La misère sociale, l’âge et les souvenirs du personnage éponyme ne sont pas sans rappeler l’œuvre d’Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule.
Fouqué, Marin. - 77. - Actes Sud. - 222p. - 19€
En Palestine, en 1990, Isra, 17 ans, issue d’un milieu modeste, refuse les prétendants qu'on lui présente. Dans un pays où les filles sont considérées comme une charge, le mariage permet de se débarrasser d'elles. En effet, un seul destin est possible pour la femme : le mariage et la maternité. Ses parents choisissent son mari : Adam a vingt ans de plus, mais lui promet un bel avenir en Amérique. Tout le monde envie la mariée. Elle doit épouser contre son gré cet inconnu et s'installe à Brooklyn, où elle subit la tyrannie de sa belle-mère. Isra vit dans la cave de la maison, coupée du Nouveau monde, et toujours sous le joug des traditions : la désillusion est totale. Elle voudrait partager des choses avec son mari, autre que ses assauts destinés à lui donner un fils. Mais la femme doit se taire et assumer toutes les charges domestiques. La situation s'aggrave lorsqu’Isra accouche de plusieurs filles. Cette Amérique synonyme d’émancipation n’existera pas pour elle et la jeune femme, étouffant dans le silence, meurt tragiquement dans un accident de voiture avec son mari. L’une de ses filles, Deya, en âge de se marier, refuse ce sort d’une autre époque. Elle apprend la vérité sur ses parents. Grâce à son récit, on comprend comment elles sont devenues ainsi. Le poids de la transmission empêche toute liberté, même en vivant aux Etats-Unis. La jeune fille devra imposer sa volonté pour accomplir son rêve de faire des études, et renverser les valeurs familiales. L’auteur parle avec des mots justes des violences faites aux femmes arabes. Mêlant souffrance et espoir, ce livre marque l’entrée d’une voix magnifique. Etaf Rum met au jour l'oppression et la violence dont sont victimes tant de femmes de par le monde. Son roman encourage à se libérer du poids des traditions et à profiter du monde moderne. Un sujet universel et déjà vu, mais passionnant. Un premier roman remarquable !
Rum, Etaf. - Le silence d'Isra (A woman is no man). - L’Observatoire. - Traduit de l’américain. - 432p. - 22€
L’auteur s'est inspirée d'une légende belge du XIe siècle dans un Moyen-Âge avec toutes ses facettes, poétique, sanguinaire, empreint de merveilleux, de sorcellerie et de superstitions, peuplé de personnages hauts en couleurs. Dans ce roman flamboyant, elle décrit les tourments et les désirs de femmes fortes, dans une Flandre entre terre, mer et ciel.
Isentraud, la châtelaine à la poigne de fer fait régner la terreur sur sa seigneurie de Gisphild. Elle n'hésite pas à employer torture et meurtre, pour régner en maîtresse absolue et garder son domaine. L'autorité d'Isentraud va s'éprouver à l'aune de deux autres femmes : Goda l’étrangère, épouse que son fils a ramené de Boulogne sur mer. Arbogast est contraint d'enfermer et d'affamer sa femme pour que sa mère soit la seule femme influente du royaume. Quelles que soient les tourments que lui fait subir Isentraud, Goda résiste par son silence, et montre les vertus d'une sainte, accomplissant ce qu'Isentraud redoutait : saper son pouvoir. Goda s'attire la sympathie du peuple par ses bontés et Isentraud n'aura de cesse d'éliminer sa rivale. Autour d'eux gravitent Sire Bruny, chevalier loyal et fidèle à son maître et l'ami d'Arbogast, vaillant chevalier qui s'éprend d'Abrielle, une jeune orpheline, libre, magicienne et sorcière, guérisseuse au fait des secrets de la nature. La révolte gronde, car plane le mal des Ardents, rongeant âmes et corps. Comme une malédiction, le mal s'abat sur le château. Ce mal ou ergotisme, appelé aussi feu de saint Antoine, amène une sensation d'intenses brûlures et la gangrène démembre les malades. Cette épidémie due à l'ingestion de farines contaminées par l'infection du seigle par un champignon -l'ergot, progresse ; les Ardents se multiplient malgré les soins d'Abrielle. Ils sont comme pris de folie, crient, souffrent et meurent. Nadine Ribault nous conte une histoire de pouvoir et de guerre, d'amour, et d'amitié. Avec une écriture très poétique, l'auteur évoque ce qui ronge un pays et les âmes humaines. C'est une histoire où dominent les femmes, leurs sacrifices, leur force, mais aussi leur douleur. Le point fort du roman est sa langue sublime : une prose sinueuse, incandescente, mélodieuse, utilisant un vocabulaire lyrique, car l’auteur est poète. Chaque ligne émerveille le lecteur et l'immerge, tous sens en éveil. Ce récit est incarné par des personnages forts et une nature magnifiée. On écoute les mots de l'auteur, dans la langueur des pages. Tout est magie, mystères, drames. Dans cette ambiance ténébreuse, Nadine Ribault envoûte le lecteur dans ce conte moyenâgeux, dans une période sombre de luttes de pouvoir, de maladies et de passions destructrices. Laissez-vous emporter dans un monde quasi onirique, cauchemardesque où le monde s'envase, dans un paysage fait de forêts sombres, de landes spongieuses et de brume et d'eau.La couverture est un photomontage de l'auteur, avec le château cathare de Peyrepertuse, dans l’Aude.
Ribault, Nadine. - Les Ardents. - Le mot et le reste. - 206p. - 19€
Ce petit ouvrage est un recueil de nouvelles traduites récemment du persan par trois collaboratrices : Sylvie Le Pelletier-Beaufond, Yvonne Rezvani et Joëlle Segerer. Sadegh Tchoubak est Iranien, il n’avait pas encore été publié en français, alors que ces sept nouvelles suffisent pour constater que c’est un très grand écrivain. Il brosse ici un portrait magnifique et brutal de l’Iran du début-mi XXe siècle, évoquant le contexte social et politique de son pays. Les personnages éponymes s’alternent, entre la figure du filou, du louti, comme le décrit l’auteur, du plus pauvre ou de la femme. Tous ont en commun la solitude, celle de l’insomniaque, de la célibataire ou bien la solitude de celui qui est différent et rejeté. Les nouvelles sont courtes, mais le récit en est d’autant plus efficace : il suffit de cinq pages à la première (Nuit d’insomnie) pour nous donner le ton du recueil tout entier, frappant, terrible et savamment bien écrit.
Tchoubak, Sadegh. - Nuit d’insomnie. - Sillage. - 96p. - 9€
Angleterre, été 1348 : Sir Richard, seigneur de Develish veut marier sa fille Eleonor, au fils d’un seigneur voisin. Il part conclure le mariage avec le père de ce dernier. Pendant son séjour, une effroyable épidémie s’abat sur la région. Nous sommes en pleine peste noire. Sir Richard et sa suite tentent de regagner Develish à toute vitesse. Lady Anne, son épouse, une femme avisée et intelligente, a été avertie de la situation et prend les choses en main. Passant outre les conventions sociales, elle nomme Thaddeus, fils bâtard d’une serve, comme nouveau régisseur. Ensemble, ils mettent en place une quarantaine. Lady Anne refuse ainsi à Sir Richard l’entrée dans son domaine. Ce dernier meurt devant le château, sans recevoir les derniers sacrements. Eleonor est furieuse. Elle adorait son père et déteste sa mère. Elle va tout faire pour saper l’autorité de la châtelaine. Dans ce huis clos, la vie s’organise tant bien que mal. Les gens de Develish tremblent : s’ils arrivent à échapper à la maladie, il leur faut des vivres pour passer l’hiver. Ils sont aussi obligés de faire croire qu’ils sont malades pour ne pas être attaqués. Des hommes sans scrupules rodent. C’est le chaos, l’anarchie. Dans cette période de fin du monde, chacun lutte pour sa survie. L’ordre social est complétement bouleversé. Tout est possible, le bien, comme le mal ! Un bon roman d’ambiance. On passera un bon moment avec les habitants de Develish qui luttent pour leur survie, même si l’on peut s’interroger sur les visions très modernes de Lady Anne en matière d’hygiène et d’éducation. Rebondissements garantis. Vivement la suite !
Walters, Minette. - Les dernières heures. - R. Laffont. - Traduit de l’anglais. - 528 p. - 22,50€