Commission Petits éditeurs BiB92 - Sélection septembre 2024
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Ce 3eme tome inédit de l’autobiographie de Maya Angelou est une vraie pépite. Que l’on ait lu ou pas Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, on est tout de suite emporté par cette voix singulière, sincère, profonde et qui ne renonce pourtant jamais à la fantaisie. On suit avec empathie et admiration le parcours de cette jeune mère célibataire dans l'Amérique blanche des années 50-60. Elle narre avec délicatesse et autodérision son mariage malheureux avec un émigré grec féru de musique mais maltraitant, sa carrière artistique naissante de chanteuse et danseuse. Son talent révélé, elle intègre la troupe de Porgy and Bess et part en tournée en Europe. Elle culpabilise de devoir laisser à la garde de sa mère, Clyde, son fils qu’elle aime plus que tout. Maya Angelou sait faire virevolter son récit évoluant de milieux interlopes à une dimension artistique universelle. Elle transcende sa condition de femme noire et s’en réclame avec fierté. Une vie exaltante faite de magnifiques rencontres.
Angelou, Maya. - Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël. - Noir sur blanc, Notabilia. - Traduit de l’américain. - 437 p. - 24,50 €
Zoé est collégienne mais vit à l’hôpital, avec d’autres jeunes et sa professeure de français. Un célèbre animateur TV et Gatienne son assistante recherchent des candidats lambda, pour animer une émission le 24 décembre. Ils deviendront pour un matin présentateur. Ils sont sept à être retenus, pourtant ils ne l'ont pas demandé, ils ont été choisis par leur entourage. Zoé prend la parole alors que commence la sélection des candidats, à travers le récit de Gatienne. Ces personnages touchants ont des parcours différents, mais sont en attente de changement : étudiant qui peine à joindre les deux bouts, enseignante à l‘hôpital, veuve retraitée solitaire, quadra déprimée, SDF etc. Le casting et les prises d’essai commencent. C'est ainsi que cette expérience donne lieu à des rencontres riches en découvertes. Elle bouscule leur quotidien, les force à s’intéresser aux autres et se livrer. Ce roman rempli de bienveillance montre la naissance inattendue d’une famille de cœur. La plume de Cathy Bonidan est fluide juste, sensible et les chapitres courts, avec des changements de point de vue, donnent du rythme au récit. Un sujet original pour un roman plein d’humanité et sympathique à lire. Une histoire adaptée à des adolescents, qui donne confiance en l'être humain.
Bonidan, Cathy. - Où la vie nous conduira. - La Martinière. - 331 p. – 20€
L'héroïne est une jeune fille de 16 ans, chassée brusquement de sa famille. Elle quitte l'Auvergne pour monter seule à Paris où sa tante lui sert de chaperon. Elle essaie d'oublier son père et son frère qui ont abusé d'elle. Très vite, Yolande est courtisée et un jeune chirurgien l'épouse, même sans dot. Le bonheur sera court, son mari la délaisse dès leur second enfant, même si c'est un fils. Par hasard, elle rencontre une femme qui devient son amante en secret et elle connaitra enfin le plaisir. Mais comme celle-ci est noble et que la révolution couve, ce n'est guère prudent. Portrait de femme attachant à une époque où elles sont totalement soumises et dépendantes des hommes. Adolescente, femme mariée et mère : le roman dépeint la condition féminine à la fin XVIIIe siècle. Yolande rêve de divorcer. Malgré le danger, elle s'autorise des moments de bonheur. Elle les vit entièrement, puis reprend son rôle de femme soumise. Les descriptions sont précises, d'une grande justesse et emplies d'émotions. Sur fond de bête de Gévaudan. Nouveau roman de Catherine Delors très réussi, bien documenté et finement écrit. Dévoré dans la journée !
Delors, Catherine. - La danse des fauves. - Jeanne et Juliette. - 320 p. - 24 €
La Première Guerre Mondiale rattrape l’Italie : nombreux sont les hommes contraints à devoir rejoindre le front. Dans les montagnes notamment, où la main-d’œuvre est restreinte, leur manque se fait sentir. Heureusement pour Giacomo, boîtant depuis l’enfance, on ne veut pas de lui dans les rangs. Son grand-père le destine donc au métier de colporteur, spé’ caviè : il partira des semaines, voire des mois pour récupérer les cheveux des femmes et les vendre aux perruquiers en métropole. La tâche n’est pas facile : météo, négociations, rencontres étranges… Giacomo doit rester sur ses gardes, et se montrer à la hauteur du prestige laissé par son aïeul. Mais que faire alors de ces nombreuses années passées à étudier au presbytère (chance rare pour un jeune des montagnes) ? Formidable récit d’émancipation au fil des saisons, avec de splendides descriptions des Alpes : les premiers paragraphes en sont une lettre d’amour. Suivre Giacomo dans ces aventures à quelque chose d’enivrant : il devient le liant d’une communauté haute en couleur. Mention spéciale à Natale, son excellent partenaire / mentor, qui ne manque pas de verve et d’ambition. Pour qui s’intéresse aux rouages du commerce « traditionnel », ou à la construction d’un réseau, il ne faut pas passer à côté !
Faggiani, Franco. - L’inventaire des nuages. - Paulsen. - Traduit de l’italien. - 301 p. - 22 €
Lors de sa publication en 1933, Tout est Jazz ! rencontre un franc succès. Longtemps oublié, le texte est redécouvert et traduit pour la première fois en français en 2024. Jeune comédienne pleine d’espoir, Elli rêve de briller sur les scènes des théâtres berlinois. Après une rencontre fortuite, elle rejoint une troupe de jeunes créateurs idéalistes, déterminés à lancer leur propre cabaret : Le Jazz. Pour Elli, commence alors un parcours initiatique, court mais intense, où elle fait face à des doutes profonds et des incertitudes persistantes. Tout est Jazz ! ressuscite le Berlin trépidant de l'entre-deux-guerres, avec ses cabarets bouillonnants et son effervescence artistique. Pour écrire son premier roman, Lili Grün s'inspire de ses propres expériences dans les cercles avant-gardistes berlinois. Ce récit nous plonge dans l'univers des artistes libres, audacieux et inventifs, dont l'énergie semblait inébranlable. Le texte suit principalement le destin d’Elli, une jeune femme rêveuse, déterminée à percer dans le théâtre, malgré les nombreux obstacles. Sa rencontre avec Hullo lui permettra de découvrir ce que signifie véritablement être une artiste dans l’Allemagne des années folles. Ce roman autobiographique, à la fois doux et amer, dépeint avec une grande justesse les illusions et désillusions d'une génération d’artistes tentant de survivre dans un contexte de crise économique et sociale, marqué par le chômage massif et les tensions politiques. Le style vif et exaltant de Lili Grün donne à ce témoignage une profondeur singulière, rendant hommage à une époque bouillonnante de créativité, mais aussi de précarité.
Grün, Lili. - Tout est Jazz !. - Typhon. - Traduit de l’allemand (Autriche). - 168 p. - 20 €
Fumiko Hayashi est issue d’une famille pauvre de marchands ambulants au Japon. Après avoir fait de multiples petits métiers, elle devient célèbre en publiant son faux Journal, sorti en France sous le titre Vagabonde, où elle raconte son quotidien au sein d’un monde littéraire et bohème. Certaines de ses nouvelles ont été adaptées au cinéma par Mikio Narusé. Elles contiennent de nombreux dialogues qui peuvent parfois s’apparenter à des scenarii. Ces textes possèdent une part autobiographique. Nombreuses en sont les héroïnes féminines et les problématiques abordées concernent notamment la maternité, l’avortement, la prostitution, le viol, l’amour et l’adultère. La vie de couple est abondamment décrite (dans Du matin au soir, celle d'un couple ruiné). Certaines étaient destinées à des enfants ou des adolescents. La flûte de la grue prend la forme d’une fable dont les personnages sont des grues, reprenant une tradition japonaise. Elles donnent l'impression de voyager à travers le Japon des années 30-50. Ce sont des tranches de vie que nous raconte l'auteure, dans des milieux pauvres ou modestes, majoritairement paysans, mais aussi en ville. Le thème de la guerre est très présent à travers ses conséquences, notamment les maisons détruites par les raids aériens, mais aussi celui du voyage et du déplacement, à travers le motif récurrent du train. Consolation prend pour personnage principal un clochard adonné au saké. Ses déambulations dans la ville sur un mode poétique, à la lueur de la lune, et qui se terminent de façon tragique et heureuse en font une nouvelle particulièrement attachante. Ces textes traduisent moins les péripéties que les états d’âmes et les conflits intérieurs qui agitent les personnages. Le ton varie d'une nouvelle à l'autre, mais même au plus profond de la misère persiste toujours une touche enjouée, voire comique.
Hayashi, Fumiko. - La flûte de la grue. - Arfuyen. - Traduit du japonais. - 240 p. - 17 €
À l’aube de la grande guerre, Mattew Callwood, suite à une déception amoureuse, s’engage dans la police. Il se retrouve en poste dans un village du nord canadien. Cet homme plein de « bonnes intentions », idéaliste et courageux fait la connaissance de ses collègues, des personnages hauts en couleur, passant leur temps à boire et à trafiquer. Décidé à faire régner l’ordre, il va très vite se heurter à leur bêtise, ainsi qu’à leur violence. Mais il en faut plus à ce jeune policier pour se laisser démonter, car sa mission principale est de poursuivre et d’arrêter un homme en cavale accusé d’avoir assassiné sa femme et son bébé…C’est au sein de cette nature hostile, glaciale et parfois cruelle que cette longue et périlleuse poursuite débute… L’auteur nous entraîne dans cette traque obsessionnelle semée d’obstacles, de souffrances, où la mort n’est jamais loin. Cette histoire féroce est pourvue d’une écriture crue avec des phrases courtes, incisives et saccadées qui donnent du rythme à ce roman d’aventures où la nature est un personnage à part entière. Bien que captivant, il a, pour ma part, été un peu long à démarrer...
Lavallée, Ronald. - À la lisière du monde. - Presses de la Cité. - 366 p. - 23 €
Premier roman. Née d’une mère française et d’un père algérien dans les années 60, la narratrice revient à Alger où elle a passé son enfance à la recherche de la « Sancta Algeria ». Sa famille est allée vivre en Algérie au moment de la guerre de l’Indépendance, la tête pleine de rêves et de liberté, pensant que la construction de ce nouveau pays serait un modèle du « vivre ensemble » où chacun pourrait trouver sa place, heureux parmi les autres. A travers le destin plus ou moins tragique de différentes femmes que sa famille a connues, elle évoque les difficultés auxquelles celles-ci ont dû faire face lorsque pèsent le poids des traditions et le regard des autres. Alors qu’elle semble parfois se perdre dans le labyrinthe d’Alger comme dans celui de ses pensées, elle retrouve toujours le fil pour amener, avec subtilité, l’idée d’une ouverture possible de son pays, tellement présente dans l’esprit de ces couples mixtes comme dans l’éducation qu’ils ont donnée à leurs enfants à l’identité partagée.
Liassine, Yasmina. - L’oiseau des Français. - S. Wespieser. - 177 p. - 19 €
Elisabeth est sourde et aveugle. A la mort de ses parents, elle vit seule dans la ferme parentale, endroit isolé près d’une forêt et d’un étang. Seule Geneviève, sa sœur ainée, vient la voir régulièrement. Elles communiquent toutes les deux grâce à un alphabet fait de tapotements dans la paume des mains. Elisabeth, malgré son handicap est totalement autonome et surtout pleine de vie, joyeuse, heureuse quand elle peut se baigner dans l’étang retenue par une corde. Elle a eu un chien, Goblo avec qui elle eut une relation fusionnelle, mais ce dernier finit par mourir et la jeune femme refuse d’en avoir un autre. Bientôt une meute de chiens (ou de loups) trouve refuge près de sa maison et la protège à son insu. Malgré la brièveté de cette nouvelle, l’autrice a réussi, avec ce conte poétique, à nous toucher. Elle parvient également à nous faire percevoir la vie à travers les mains d’Elisabeth. C’est une magnifique histoire sur les relations profondes qui peuvent se tisser entre les humains et les animaux.
Mey, Louise. - La femme aux mains qui parlent. - Au diable Vauvert. - 68 p. - 12 €
Pour fuir un foyer violent et les coups du sort, Belette, 13 ans, se réfugie dans un bunker abandonné et se crée un nouvel univers face à la mer. Après sa fugue avec Babine, la bicyclette dont elle a fait sa meilleure amie, elle survit grâce à l'aide de Bruno, du vieux Léon et d'une femme de passage, que son histoire et sa personnalité ont attendrie. Pour ce premier roman, l’auteure nous propose une jolie découverte remplie de poésie. Son style original virevolte et nous entraîne à la vitesse des expéditions de l’adolescente en compagnie de sa chère bicyclette, principale confidente. Malgré la thématique des violences familiales abordées, on respire le bon air marin ! Les personnages secondaires jouent un rôle précieux pour mettre du « baume au cœur » à l’âme cabossée de cette jeune adolescente.
Mye. - Belette. - Le Tripode. - 187 p. - 18 €
L’auteur vit au Timor depuis quelques mois lorsqu'il décide de faire l'ascension du Manucoco, sur une île au large de la capitale, où il vit. Parti le matin en bateau, il tarde à atteindre le sommet. La nuit s'apprête à tomber lorsqu'il emprunte le chemin du retour. C'est alors qu’il chute : son crâne est à nu, son bras fracturé, il n'a ni eau ni possibilité de contacter qui que ce soit. Cinq jours s'écoulent durant lesquels il épouse la condition d'un animal blessé, éprouve des sensations insoupçonnées, découvre un corps rendu à sa pleine vulnérabilité, observe son environnement avec une acuité instinctive et totale. L’auteur réussit particulièrement bien à décrire d’une part, ce que son corps a vécu, ressenti avec ses blessures (épreuves physiques hors-norme) et d’autre part, le seul contact avec la nature pendant ces cinq jours, ainsi que sa volonté de survivre. Il ne nous épargne aucun détail ! Le lecteur ne peut être qu’avec lui, en totale empathie, ne réussissant pas à lâcher le livre jusqu’à ce qu’il s’en sorte ; les petits bémols du livre sont les quelques divagations ou réflexions au début sur les raisons qui l’ont amené au Timor, puis à faire cette randonnée. Un récit de survie court et haletant, même si on sait dès le départ que l’auteur a survécu puisqu’il nous raconte son histoire.
Segui, Morgan. - Cinq jours au Timor. - Premier Parallèle. - 167 p. - 17 €
Délicate suite de fragments, de souvenirs et de réflexions, ce livre transporte par sa poésie sans pareille. Tanguy Viel orne ses phrases de mots rares et précieux, tel « faseyer », flotter, battre au vent. Si l’on en perd parfois le sujet, il faut se laisser porter par la beauté du style, les sublimes descriptions de la Bretagne et la richesse de cette écriture presque artiste. 71 citations émaillent ces miscellanées, à l’image des essais de Montaigne. Vivarium est un « grand livre de soi » tissé de mille et une choses subtiles, dans lequel l’auteur s’interroge sur la forme même que prend son texte.
Viel, Tanguy. - Vivarium. - Minuit. - 144 p. - 18 €